Diane Dufresne, l’artisane libre et audacieuse de la chanson québécoise
« Chaque soir, je suis un peu comme Karl Lagerfeld, je me dis que c’est peut-être le dernier soir. Quand je me réveille, je suis toujours surprise qu’il y ait une autre journée. »

« Je peaufine beaucoup mes spectacles, je travaille tous les jours », explique Diane Dufresne.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2022 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
C’est à Diane Dufresne que le Mouvement national des Québécoises et Québécois (MNQ) a choisi de décerner le prix Artisan de la fête nationale cette année. Artisan, ce mot caractérise bien le travail artistique de cette chanteuse, mais aussi peintre, qui parfait sans cesse ses projets avec rigueur, toujours animée du souci de se dépasser pour voir son public heureux. Anne-Marie Dussault lui consacre vendredi soir un hors-série de son émission 24/60.
Je peaufine beaucoup mes spectacles, je travaille tous les jours, a expliqué l’artiste en entrevue. Je n’ai pas de fun dans la vie, mais j’ai une joie à me dépasser, toujours un petit peu plus.
Mon métier, je l’ai fait sans prétention, presque comme une religion
, a-t-elle dit.
En plus de 50 ans de carrière, Diane Dufresne a chanté à plusieurs reprises lors de spectacles de la fête nationale, interprétant notamment pour la première fois Comme un bel oiseau en 1990 devant une foule de drapeaux fleurdelisés à l’île Sainte-Hélène.
Cette chanson, la première qu’elle a écrite, est née après qu’un drapeau québécois eut été piétiné au Canada.
Je ne suis pas une nationaliste chevronnée, mais qu’on touche au drapeau, à la langue française, à la culture a provoqué chez moi d’oser écrire une chanson
, a-t-elle raconté.
Authentique et rebelle
Si elle a longtemps vécu en France, Diane Dufresne est toujours restée Québécoise. Pourtant, de l’autre côté de l’Atlantique, un pont d’or lui a été offert, un producteur français lui proposant même de devenir la nouvelle Édith Piaf, ce qu’elle a refusé.
Je ne suis pas Piaf. [...] Je ne pouvais pas être autre chose que ce que je suis et faire certaines concessions
, a-t-elle souligné.
On dit : "peu importe le chemin qu’on prend pour y arriver". Moi, je trouve que le chemin qu’on prend pour y arriver est très important.
Fidèle à elle-même, Diane Dufresne a donc poursuivi sa carrière, brisant les conventions, redéfinissant le spectacle et apportant un nouveau souffle, notamment grâce aux nombreux costumes flamboyants qu’elle a portés sur scène.

Diane Dufresne en 1984.
Photo : Radio-Canada / Jean-Pierre Karsenty
En tant que femme, on prenait la pilule anticonceptionnelle, mais on n’avait pas la même liberté que les hommes
, a-t-elle tranché.
Il y avait une sorte de rébellion à être si possible encore plus féminine, plus sex-symbol et à assumer son corps.
C’est notamment la chanteuse française Juliette Gréco, la divine Gréco
, qui lui a appris à s’assumer.
J’avais beaucoup d’eczéma, alors je chantais avec les bras en arrière. Elle m’a appris à faire des gestes, à mettre mes mains en avant et elle m’a dit d’oser.
Par la suite, Diane Dufresne a eu l’audace de porter une robe à la traîne en papier journal pour chanter Vous aurez d’mes nouvelles par les journaux ou de réunir 55 000 personnes habillées en rose pour son concert unique Magie rose en août 1984 au stade olympique de Montréal. Elle reste la première et unique artiste du Québec à s'être produite dans ce lieu. C’était extraordinaire, c’est le public qui a réussi le spectacle
, a-t-elle affirmé à Anne-Marie Dussault.
Toutefois, s’écarter des normes n’a pas toujours facilité sa carrière musicale. Les musiciens avaient un petit peu honte de moi, car je criais, a-t-elle confié. [Mais] je criais pour les femmes qui ne pouvaient pas crier.
L’influence des Rockettes et de Bécaud
Depuis la sortie de son premier album Tiens-toé ben en 1972, Diane Dufresne a offert une multitude de chansons qui ont laissé leur empreinte : La chanteuse straight, Le parc Belmont, Chanson pour Elvis, En écoutant Elton John, Hollywood Freak, J’ai 12 ans, À part d’ça, ou encore Hymne à la beauté du monde.
Ces titres populaires n’auraient probablement jamais vu le jour sans deux spectacles en particulier : celui des Rockettes, qu’elle a découvert enfant avec son père à New York et qui l’a décidée à devenir chanteuse, et un concert de Gilbert Bécaud, à Montréal.
À l’époque, Diane Dufresne, qui a perdu sa mère à 15 ans, a arrêté l’école et s’occupe des tâches ménagères, son père s’étant remarié avec une femme très sévère. Entendre Gilbert Bécaud interpréter Le bateau blanc s’est avéré déterminant dans sa vie. Cette chanson a notamment pour paroles Tu l’auras ton bateau blanc / Mais pour l’avoir, tu auras mis le temps [...] Même si tu n’y croyais pas vraiment, le voilà ton bateau blanc
.
Quand Gilbert Bécaud a chanté [ça], j’ai vraiment cru que ma vie pouvait changer et elle a changé.
Rester allumée
Aujourd’hui, à 77 ans, Diane Dufresne dit avoir la même tête allumée
, même si son corps fuit
pour reprendre ses mots.
Elle aspire à avoir la paix et à continuer d’oser, auprès de l’homme de sa vie, le sculpteur Richard Langevin, qu’elle a rencontré à 50 ans, et non à 28 ans, quand elle chantait J’ai rencontré l’homme de ma vie, écrite par Luc Plamondon. Je suis toujours très amoureuse de [Richard], c’est un cadeau de la vie
, a-t-elle confié.
Très marquée par la disparition prématurée de sa mère adorée et excentrique qui lui a donné le goût du spectacle, elle a particulièrement conscience de l’existence de la mort.

Diane Dufresne en entrevue avec Anne-Marie Dussault.
Photo : Radio-Canada
Chaque soir, je suis un peu comme Karl Lagerfeld, je me dis que c’est peut-être le dernier soir, a-t-elle expliqué. Quand je me réveille, je suis toujours surprise qu’il y ait une autre journée.
Sur son plus récent album Meilleur après figure la chanson Mais vivre, qui résonne comme un hymne à la vie.
Faites ce que vous voulez, mais restez vivant et humain, c’est important.
Quand on est vivant, on sait qu’on avance vers un truc carré [une tombe, NDLR], mais pendant qu’on avance, c’est important de vivre toutes les émotions, et pas seulement du bonheur, a-t-elle plaidé. Je ne sais pas exactement ce qu’est le bonheur, mais je sais ce que sont les émotions.
Une conception exigeante de la liberté
En plus de peindre, Diane Dufresne continue de donner des spectacles, elle a participé au Festival de la chanson de Tadoussac le 17 juin. Elle collabore aussi au film inspiré de sa vie qui devrait sortir l’année prochaine et au documentaire qui devrait être mis en ligne sur Tou.tv Extra quelques semaines avant l’arrivée du long métrage dans les cinémas.
Les gens pensent que d’être libre, c’est faire n’importe quoi, a-t-elle déploré. Être libre, c’est avoir beaucoup de rigueur, de l’éthique, et si on peut avoir de la noblesse, là on peut se permettre d’être libre.
Quand je dis que je veux faire encore des choses, c’est avec cette liberté-là. J’espère toujours avoir mon éthique et être un bon artisan.
L’émission spéciale de 24/60 au cours de laquelle Anne-Marie Dussault s’entretient avec Diane Dufresne est diffusée vendredi, à 19 h, sur ICI RDI.