Le poète américain Lawrence Ferlinghetti s’est éteint à 101 ans

Sans lui, la Beat Generation n'aurait sans doute pas existé. Poète, libraire et éditeur, Lawrence Ferlinghetti est mort lundi à l'âge de 101 ans à San Francisco. Il était le dernier survivant de ce mouvement de contre-culture né aux États-Unis dans les années 1950.

Poète majeur du 20^e siècle aux États-Unis, il a publié A Coney Island of the Mind en 1958. Ce recueil de poésie s’est vendu à plus de 1 million d'exemplaires, du quasiment jamais vu dans un domaine aussi confidentiel.

Si Lawrence Ferlinghetti minimisait son rôle dans l'histoire de la Beat Generation et s'agaçait qu'on le questionne toujours sur cette époque brillante, mais lointaine, il n'était pas moins un pilier de ce groupe anticonformiste et révolté.

C'est lui qui a créé la mythique librairie City Lights (comme Les lumières de la ville de Charlie Chaplin), à San Francisco, laboratoire du mouvement. Il a été le premier à publier, aux éditions City Lights Books, les livres de Jack Kerouac, de Gregory Corso, de William S. Burroughs ou d'Allen Ginsberg.

C'est lui enfin qui, en 1957, a été arrêté et jugé pour obscénité, lors d'un procès historique pour avoir édité un des grands livres de la Beat Generation, Howl, long poème halluciné de Ginsberg. Finalement, il a été acquitté.

Contre la « Coca-Colonisation » de l'Amérique

Lawrence Ferlinghetti naît le 24 mars 1919 à Yonkers, dans l'État de New York. Son père, Italien, meurt avant sa naissance; sa mère, franco-portugaise, ne supporte pas le choc et est internée en hôpital psychiatrique. Il passe son enfance en France, auprès de sa tante.

Après un retour aux États-Unis, il participe au débarquement de juin 1944 et se retrouve, un an plus tard, à Nagasaki, en ruines après le bombardement atomique. Cela a fait de moi un pacifiste, dira-t-il. Après la guerre, il revient à Paris grâce à une bourse et obtient un doctorat à La Sorbonne.

En 1953, il ouvre une librairie à San Francisco, entièrement consacrée aux livres de poche, où se rencontrent de jeunes écrivains qui refusent l'académisme ambiant et la « Coca-Colonisation » de l'Amérique, selon la formule de Ferlinghetti.

Ils adorent le jazz et lisent William Blake, Louis-Ferdinand Céline ou Aldous Huxley; ils veulent exprimer des sensations dans ce qu'elles ont de plus immédiat, grâce à une écriture qui serait comme un cœur qui bat. Nombre d'artistes de toutes disciplines, Bob Dylan en tête, doivent beaucoup à la Beat Generation.

Auteur de plusieurs recueils, de pièces de théâtre et du roman Her, Lawrence Ferlinghetti a conçu beaucoup de poèmes pour être lus à haute voix ou pour accompagner un morceau de jazz.

Éditeur également de Charles Bukowski et de Paul Bowles, il a traduit Jacques Prévert en anglais.

Sur les routes du monde

À la fois anarchiste moral et socialiste, ami des bouddhistes, doué aussi pour peindre, Lawrence Ferlinghetti a été enfin un grand voyageur. Sa vie durant, il a bourlingué de l'Australie au Vietnam, et des pavés de Paris au Nicaragua en passant par le transsibérien et les routes de l'Amérique.

Dans Ma vie vagabonde (Writing Across the Landscape), il a raconté comment il a croisé Fidel Castro et Pablo Neruda, plongé dans l'Espagne de Franco, rencontré des dissidents soviétiques, des poètes et des anonymes merveilleux. Si vous vous prétendez poète, s'exclamait-il, ne restez pas assis là!

Inspirés et sensuels, ces carnets intimes se lisent comme une lettre ouverte au lecteur. On y entend sa voix distinctive, celle d'un baladin de l'Amérique, disait son amie la chanteuse Patti Smith, tandis que le réalisateur Francis Ford Coppola a fait part du bonheur éprouvé à suivre ses aventures et sa plume furieusement beat.

Lawrence Ferlinghetti est mort des suites d'une pneumopathie interstitielle, selon ses enfants via des journaux américains.